Logique et Ontologie
- 1 -
Bien avant sa formalisation mathématique du XIXe siècle, avant même de devenir un domaine à part entière de la philosophie, la logique fut utilisée par les présocratiques pour aborder la notion ontologique « de l'Être et de l'Étant ».
 
Pour Héraclite « l'obscur » :
« Unis sont tout et non tout, convergent et divergent, consonant et dissonant ; de toutes choses procède l'un et de l'un toutes choses »,
l'Être est mouvant et évolue vers son contraire

Parménide lui oppose « L'Être est, le Non-Être n'est pas » qu'il complète par « Même chose sont le penser et l'Être ».
( On ne peut penser une chose sans qu'elle existe ⇒ Le Non-Être ne peut pas être un objet de pensée ⇒ Le Non-Être n'existe pas pour nous ).
Il déduit de son double postulat que l'Être est sans devenir ( non-né, indestructible, éternel ) et sphérique ( un, homogène, plein, continu ) selon la représentation grecque de la perfection.
L'Être ne peut naître du Non-Être « Rien ne vient du néant ». Il a toujours été.
L'Être n'a pas de devenir puisqu'il ne pourrait évoluer qu'en Non-Être et que celui-ci n'est pas.
L'Être est indestructible puisque rien de l'Être ne peut périr ( qui deviendrait Non-Être ).
L'Être ne manque de rien puisque ce qui lui manque ne pourrait venir que du Non-Être. Pour la même raison, Il n'a rien en plus.
L'Être ne se développe pas. Il est immobile.
L'Être est continu car ses discontinuité seraient occupées par le Non-Être. Il ne peut être multiple puisque seul le Non-être est différent de Lui.
L'Être est parfait puisqu'il ne lui manque rien et qu'il n'a rien en plus.
L'Être parfait ne peut penser qu'à lui-même. La nature de la pensée reflète la nature de l'être, penser et être sont les mêmes choses.
En résumé : l'Être n'est intelligible que par la Raison. Ses composantes dans le monde des Sens sont les Étants, soumis au multiple, au mouvement et au devenir.

Gorgias « le sophiste » dans « Sur le Non-Être ou sur la Nature » utilise sa redoutable logique pour affirmer :
Il n'y a rien (c'est à dire que rien n'existe !),
S'il y a quelque chose, ce quelque chose ne peut pas être connu par l'homme,
Si quelque chose est connaissable, il ne peut pas être communiqué à autrui.
 
Sur le fait qu'il n'y a rien
S'il existe quelque chose, c'est l'Être ou le Non-Être ou l'Être et le Non-Être.
Notons qu'il utilise, dans son raisonnement, les paires P/Non-P (Être/Non-Être, Créé/Éternel, Limité/Infini, Un/Multiple)
sous la forme (P ou Non-P) ou (P et Non-P).

Le Non-Être n'est pas car si le Non-Être existe, il est parce qu'il existe et il n'est pas en tant que Non-Être.
Il est absurde que quelque chose soit et ne soit pas, le Non-Être n'est pas.
Non-Être existe : Faux => Non-Être n'existe pas : Vrai (Principe de non-contradiction).
L'Être n'est pas car si l'Être est, il ne peut être que (Éternel ou Créé) ou (Éternel et Créé).
Si l'Être est Éternel, il n'a pas de Commencement et n'ayant pas de Commencement, il est Infini.
S'il est Infini, il n'est nulle part car s'il est quelque part, ce en quoi il est ne peut pas contenir l'Infini.
Et si, Infini, il est Limité en lui-même, il deviendra Deux, étant en même temps le Lieu-Contenant et le Corps-Contenu, ce qui est une absurdité.
Par conséquent, il n'est pas non plus en lui même. Ainsi, si l'Être est Éternel, il n'est pas.
Si l'Être a été Créé, il l'a été par l'Être ou le Non-Être. Il ne peut pas venir de l'Être puisque dans ce cas il existerait déjà ni du Non-Être puisque rien ne peut venir de ce qui n'existe pas. Ainsi l'Être ne peut pas avoir été Créé.
Peut-il être à la fois Créé et Éternel ?Les deux propositions se détruisent car s'il est Éternel il n'a pas de Début et s'il a un Début il n'est pas Éternel.
N'étant ni Éternel, ni Créé, ni à la fois Éternel et Créé, l'Être n'est pas.
Si Être existe => Être Éternel ou Être Créé ou (Être Éternel et Être Créé)
Être Éternel : Faux ; Être Créé : Faux ; Être Éternel et Créé : Faux => Être existe : Faux (Raisonnements par l'absurde) ;
Être existe : Faux => Être n'existe pas : Vrai (Principe de non-contradiction).

Et il enfonce le clou en « montrant » que l'Être ne peut être ni Un ni Multiple,
 
L'Être et le Non-Être ne peuvent pas être ensemble car si l'Être est et que le Non-Être est alors le Non-Être est la même chose que l'Être en ce qui concerne l'existence. Et comme le Non-Être n'existe pas par définition et que si l'Être s'identifie au Non-Être il n'existe pas non plus, ni l'Un ni l'Autre n'existe. Et si l'Être est identique au Non-Être, il ne peut pas être les deux à la fois car s'il est les deux, il ne lui est pas identique et s'il lui est identique, il n'est pas les deux.
En conclusion
Il suit que Rien n'est. Car si d'un côté l'Être n'est pas, non plus que le Non-Être, non plus que Les Deux ensemble, comme en dehors de cela, on ne pense rien, il en résulte que l'Être ne saurait être pensé.
Pour Gorgias, le discours, dont le but n'est pas de montrer la vérité mais de convaincre ses auditeurs, est une fin en soi.
On comprend l'acharnement de Platon contre les sophistes et leur négation du monde des idées.
 
On lira avec intérêt
- La suite dans « Adversus mathématicos » du sceptique Sextus Empiricus où il expose en totalité le raisonnement utilisé par Gorgias pour nier la faculté de juger.
- L'« Éloge d'Hélène » de Gorgias où il s'attache à démontrer que rien des agissements de la Belle Hélène (de Troie) n'est répréhensible.
- Le « Plaidoyer pour Palamède » de Gorgias où il défend la victime de la fausseté d'Ulysse.
 
 
Retour au menu