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Préface
Table des Matières

 
 

 

L'Aube du Manoir

Alors s'éteindraient les échos angoissés qui murmuraient que tout était écrit.

Le nom donné au château de Morgueil résonne étrangement aujourd'hui encore. La plus ancienne allusion avérée au Manoir des Sangliers date du début du XVIIème siècle. D'aucuns l'attribuent aux hures de sangliers qui ornaient la salle de réception du chevalier bâtisseur Pierre des Tomberets. D'autres devinent en sanglier un hommage déguisé à l'ordre des templiers dont le gendre de Pierre, Martial Le Beaussaint, participa au sursaut marginal au XVIème siècle. Si cette question demeure ouverte à l'exégèse, l'harmonie architecturale du Manoir relève à coup sûr d'aléas diaboliques et bien connus : la construction originelle a bénéficié des influences italiennes de la Renaissance avant que la rénovation du XVIIème siècle puis la restauration du siècle suivant ne lui adjoignent deux ailes de modèle classique. Tombée dans l'oubli avec la Révolution, la résidence seigneuriale ne reprend son élan qu'au XIXème siècle, convertie en bordel de première classe. Par la suite, la famille bordelaise des Acquit s'attachera à en ressusciter le lustre prisé. Rendre justice au Manoir des Sangliers n'est certes pas une mince affaire. Pour couvrir d'un voile de gloire leur nudité, les forteresses du passé se drapent dans les légendes tissées dans un Moyen Age convulsif, élargies par les siècles jusqu'à leur effilochage sur les fourches révolutionnaires. Si le courageux Antoine Acquit s'est autrefois aventuré par l'une des lucarnes du Manoir, sa somme sur l'Ancien Régime dans la paroisse de Morgueil se grève depuis d'ardents détracteurs. Bien des inventions ont fondé la mauvaise réputation du Manoir. Seules de rares investigations ont permis de dépoussiérer des fragments épars de son histoire. Pour les vieillards chenus de Morgueil, le Manoir a préservé l'intégrité de son aura maléfique. Le tribut réclamé pour sa rémission est si lourd que, sous les propos péremptoires, sourdent autant la diffamation désarmante que de solides certitudes populaires. N'est-ce pas une mystification irritante que d'accuser le Malin et d'oublier que leur perversité naturelle suffit à rendre les hommes acteurs du crime ?

Menstrues retardées

Je nous revois tous deux,
Perdus et condamnés :
Toi - l'Intrus - écœuré,
Moi mimant les adieux.

Mordant ses lèvres incarnates jusqu'au sang, Marie peinait à maîtriser son émotion : Julien n'ignorait plus rien de son inconduite. Elle se détourna de son amant puis ses yeux marron revinrent à l'assaut de Mutin. Et lui qui souriait sournoisement, restreignait-il sa sensibilité aux questions de sexe ?
Ce n'était pas ça. Ce n'était pas que ça. Ce n'était pas le membre de Mutin qui l'avait déterminée à violer le serment échangé à l'église. Après des mois de libertinage à outrance, elle confessait que le fougueux attachement relevait tragiquement de la vague ressemblance de Mutin avec son père : la moustache blonde qui dévorait ses lèvres fines et le grain de beauté au cœur du nombril. Elle avait cédé à la fièvre de l'inceste. La crudité de la révélation l'apitoya sur elle-même. Mutin faufila sa main sous la jupe écossaise. Elle le repoussa avec horreur. Elle tira sur le tissu de sa jupe en s'arrachant aux accoudoirs de la bergère. "Julien sait tout. Tu entends, Mutin ?" Poitrine gonflée, elle assistait, de nouveau impuissante, à la scène du matin. "Il est sorti de la salle de bains sans parler". Quand le ricanement de Mutin se déploya, elle se remémora le jour où ses premières règles avaient provoqué l'hilarité de son père. (.../...)